Cette solution est rappelée par la Cour administrative d’appel de Lyon dans un arrêt qu’elle a rendu le 14 avril 2022 (n° 20LY02071).
Une professeure agrégée de physique-chimie, en exercice au Lycée Marie Reynoard, à Villard-Bonnot (Isère), s’était vu refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle qu’elle avait demandée au Recteur de l’Académie de Grenoble. Elle avait attaqué le jugement rendu par le Tribunal administratif de Grenoble qui avait rejeté sa demande d’annulation de la décision implicite de rejet du Recteur. La requérante faisait valoir qu’elle était victime de faits de harcèlement morale de la part de la proviseur du lycée. Elle demandait aussi au juge administratif de condamner l’Etat à lui verser des sommes en réparation de ses préjudices moral et financier ainsi que des troubles dans ses conditions d’existence tels qu’ils résultaient, selon elle, des faits reprochés.
La Cour administrative d’appel de Lyon, saisie par la professeure d’une demande d’annulation du jugement de première instance, a rejeté sa requête.
Les faits
La requérante faisait état d’éléments considérés, par elle, comme du harcèlement moral au travail, notamment :
L’instruction de l’affaire en interne avait inclus une enquête administrative qui avait révélé « l’état du mal-être de l’équipe enseignante » à laquelle appartenait la requérante. Cette dernière se voyait reprocher, par ses collègues, son « degré d’exigence dans la préparation des cours et l’organisation des travaux pratiques ».
La professeure avait, dans le cadre du procès administratif, produit des pièces rédigées par elle, et engagé son contentieux alors même qu’il ressortait des pièces du débat que la proviseure avait eu l’occasion de « louer (sa) capacité à tirer le meilleur des élèves performants et son implication, tout en relayant certaines plaintes émises par des collègues de la requérante quant à son propre comportement et l’engagement exigé d’eux. ». De plus, le juge administratif avait pu, dans le cadre de l’instruction de l’instance, déterminer que le travail de la professeure n’avait pas fait l’objet de mesures de traitement discriminatoire de la part de la cheffe d’établissement.
Le droit applicable
Aux termes du premier alinéa de l’article 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 (« Loi Le Pors ») :
« Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Aux termes de l’article 11 de la même loi, dans sa rédaction applicable:
« I.-A raison de ses fonctions (…), le fonctionnaire (…) bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause (…) / (…)
IV. – La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (…) ».
Application contextuelle de la loi applicable
Dans sa motivation, la Cour administrative d’appel de Lyon rappelle que :
« 2. (…) Ces dispositions établissent à la charge de l’administration une obligation de protection de ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d’intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l’agent est exposé, mais aussi d’assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu’il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l’administration à assister son agent dans l’exercice des poursuites judiciaires qu’il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l’autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce.
3. D’autre part, il appartient à l’agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu’il entend contester le refus opposé par l’administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d’en faire présumer l’existence. Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile. » (souligné par nous)
De plus, la CAA a considéré que « les pièces produites par la requérante, au demeurant rédigées parfois par elle-même, ne font pas apparaitre un comportement excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire son titulaire à adresser aux agents des recommandations, des remarques voire des reproches. »
Cette motivation souligne à quel point, devant le juge administratif, la subjectivité du juge constitue un élément à la fois incontournable et décisif qui détermine l’issue du contentieux. Si cet élément ne doit pas être compris comme un obstacle, sa présence impose aux requérants potentiels, avant tout contentieux, d’évaluer de la façon la plus objective et la plus complète possible, un « état des lieux » avec l’avocat.
Portée de l’arrêt
En effet, il convient de rappeler que la protection fonctionnelle, qui résulte d’un principe général du droit, n’est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l’un de ses supérieurs hiérarchiques. Il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique (CE, 26 novembre 1975, n° 94124, Rec. Lebon ; CE, 29 juin 2020, n° 423996, Centre hospitalier Louis Constant Fleming de Saint-Martin, Rec. Lebon).
De plus, l’arrêt rendu le 14 avril 2022 est à rapprocher de l’arrêt rendu récemment par le Conseil d’État (CE, 27 septembre 2021, Ministre des armées, n° 440983, Tables du Recueil Lebon).
Enfin, les plaideurs ne doivent pas oublier l’importance de prendre l’initiative d’une plainte pénale lorsque des faits de harcèlement moral sont allégués et de veiller à soigner particulièrement la préparation de leurs pièces, preuves et moyens, sans oublier le calcul des délais de prescription pénale.
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